La mise sous scellés – Généralités et le cas du smartphone
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Un résumé établi par Alexandre Reymond, avocat au barreau
Le séquestre et la perquisition de documents, d’un ordinateur ou d’un téléphone sont courants dans une procédure pénale. Le téléphone portable étant une immense source de renseignements, les autorités pénales (généralement le ministère public) décident souvent de le saisir et de le perquisitionner. Le résultat de cette perquisition se retrouvera dans le dossier d’instruction et sera accessibles à toutes les parties, tels que l’ensemble des prévenus et des plaignants ; il pourra également être versé dans d’autres dossiers portants sur d’autres enquêtes. Le prévenu, ou tout ayant droit, peut cependant préserver certains secrets par la procédure de scellés, à certaines conditions. La jurisprudence du Tribunal fédéral nous renseigne sur les obligations procédurales de celui qui demande les scellés et la portée des motifs qui peuvent être invoqués.
I. La procédure de mise sous scellés
La mise sous scellés vise à soustraire au ministère public des documents lorsqu’un motif justifie de les conserver secret. Le détenteur de documents ou objets saisis par les enquêteurs dispose d’un délai de trois jours pour requérir la mise sous scellés. L’autorité pénale dispose ensuite d’un délai de vingt jours pour saisir le juge (généralement le tribunal des mesures de contrainte) et demander la levée des scellés. Le juge statue rapidement et impartit à celui qui a demandé les scellés un unique délai de dix jours pour se déterminer sur la levée des scellés. Le juge peut s’adjoindre le concours d’un expert pour examiner les documents, les enregistrements ou les objets sous scellés.
Celui qui demande la mise sous scellés des documents ou des objets doit rendre vraisemblable qu’il dispose d’un motif pour demander le séquestre. L’autorité pénale doit apposer les scellés immédiatement. Elle n’a pas le droit de faire une copie des documents, de déverrouiller le téléphone ou de faire une copie miroir. Si une copie ou le déverrouillage est nécessaire, c’est le tribunal qui doit y procéder, éventuellement en mandatant une entité spécialisée. Le Tribunal fédéral a exclu que cette tâche soit effectuée par l’autorité d’enquête (ATF 148 IV 221).
Les détenteurs d’objets et de documents saisis qui s’opposent à leur perquisition doivent exposer de manière circonstanciée les motifs invoqués au plus tard lors de la procédure judiciaire de levée des scellés, pour autant qu’une demande de mise sous scellés conforme à la forme et au délai ait été déposée et qu’une demande de levée des scellés ait été présentée.
En principe, le ministère public ne peut pas rejeter la demande de mise sous scellés ; il doit apposer les scellés et, le cas échéant, requérir la levée de ceux-ci auprès du juge compétent. Le Tribunal fédéral admet cependant que le ministère public puisse rejeter la demande de scellés lorsqu’elle est manifestement abusive, mal fondée ou tardive (TF, arrêt 7B_313/2024 du 24 septembre 2024).
Le risque que le ministère public rejette la demande de scellés impose à celui qui les sollicite d’expliquer immédiatement pour quel motif il en fait la demande et qu’il démontre que sa demande n’est pas tardive. Le cas échéant, il pourra compléter sa demande lorsque le juge lui donnera l’occasion de se déterminer sur la levée des scellés (art. 248a al. 3 CPP).
Les détenteurs qui demandent la mise sous scellés doivent assister le tribunal des mesures de contrainte dans l’examen et le tri des documents. Il doit démontrer l’existence d’un secret et de l’intérêt qui prévaudrait au maintien de ce secret en désignant les documents en question. Cela est d’autant plus vrai que le juge chargé de lever les scellés ne connaît pas les détails de l’enquête et que le ministère public ne peut pas encore examiner les dossiers scellés. Les détenteurs concernés doivent également désigner les objets qui, à leur avis, sont soumis au secret ou qui n’ont manifestement aucun lien avec l’enquête pénale afin de permettre au tribunal de séparer les documents soumis à un secret des autres documents. Cela vaut en particulier lorsqu’ils ont demandé la mise sous scellés de documents ou de fichiers très volumineux ou complexes (ATF 138 IV 225).
En ce qui concerne un smartphone ou un ordinateur, il est nécessaire d’indiquer au juge où et comment sont enregistrés les documents soumis à un secret ou qui relèvent de la sphère privée. Afin de rendre sa décision, le juge examine toutes les pièces et les enregistrements qui font l’objet de la mise sous scellés. Il peut cependant recourir à un expert. Cela est particulièrement indiqué pour assister le juge dans le tri du contenu d’un téléphone.
La décision rendue par le tribunal des mesures de contrainte est définitive (art. 248a al. 4 CPP). Un éventuel recours peut cependant être exercé au Tribunal fédéral pour autant que le recourant démontre l’existence d’un préjudice irréparable.
II. Les motifs du placement sous scellés
Depuis la modification du code de procédure pénale entrée en vigueur en 2024, les motifs qui peuvent être invoqués pour demander le placement sous scellés sont exhaustivement cités par la loi. Les scellés peuvent être demandés pour :
- les documents concernant les contacts entre le prévenu et son défenseur ;
- les documents personnels et la correspondance du prévenu, si l’intérêt à la protection de la personnalité prime l’intérêt à la poursuite pénale ;
- les objets et les documents concernant des contacts entre une autre personne et son avocat ;
- les objets et les documents concernant des contacts entre le prévenu et une personne qui a le droit de refuser de témoigner en vertu des art. 170 à 173 CPP ; ces personnes sont essentiellement les personnes soumises à un secret de fonction et à un secret professionnel ou qui relèvent de la protection des sources des professionnels des médias.
Le secret professionnel est notamment applicable aux ecclésiastiques, avocats, défenseurs, notaires, conseils en brevet, médecins, dentistes, chiropraticiens, pharmaciens, psychologues, infirmiers, physiothérapeutes, ergothérapeutes, sage-femmes, diététiciens, optométristes, ostéopathes, ainsi que leurs auxiliaires.
Il est important de noter que d’autres secrets, tels que les secrets d’affaires et le secret bancaire ne permettent pas de demander la mise sous scellés (TF, 7B_950/2024 du 15 novembre 2024). Lorsqu’un motif de placement sous scellés est invoqué de manière vraisemblable, la légalité de la perquisition peut également être contestée, mais uniquement à titre accessoire (TF, 7B_950/2024 du 15 novembre 2024).
Il est fréquent que le ministère public saisisse un téléphone et ordonne sa perquisition. Dans ce cas, l’ayant droit peut invoquer les motifs précités, par exemple si son téléphone portable contient des documents médicaux ou de la correspondance avec son avocat. En ce qui concerne le téléphone, il pourra généralement invoquer le secret de ses documents personnels et de sa correspondance. Ce motif vise la protection de la sphère privée, garantie par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.
Le Tribunal fédéral admet qu’il est notoire que les smartphones à usage privé contiennent généralement une multitude de données sensibles qui touchent à la sphère intime de leur propriétaire et que l’on peut donc supposer sans autre que la perquisition (complète) de smartphones à usage privé porte atteinte aux notes et correspondances personnelles (TF, 7B_145/2025 du 25 mars 2025).
Toutefois, contrairement aux autres motifs permettant la mise sous scellés, la protection de la sphère privée n’est pas absolue et dépend d’une pesée des intérêts entre l’intérêt à la protection de la personnalité et l’intérêt à la poursuite pénale. La partie qui demande les scellés doit donc impérativement démontrer que son intérêt à la protection de sa personnalité pourrait l’emporter sur l’intérêt à la poursuite pénale. Dans tous les cas, le Tribunal fédéral considère que la référence générale à la correspondance privée ou aux photos ne suffit pas (TF, 7B_145/2025 du 25 mars 2025).
Le devoir de collaborer au tri ne signifie pas que le prévenu aurait l’obligation de transmettre ses codes d’accès et ses mots de passe.
III. Conclusions
Celui qui fait face à la saisie et à la perquisition de son téléphone n’est pas démuni pour protéger ses droits fondamentaux et le respect de certains secrets. Outre le fait que toutes les mesures de contrainte doivent respecter des principes fondamentaux tels que la proportionnalité de la mesure et l’existence de soupçons suffisants (art. 197 CPP), le détenteur peut invoquer l’existence d’un secret protégé par la loi ainsi que le respect de sa vie privée.
Celui qui demande la mise sous scellés de documents ou d’un smartphone doit veiller à formuler sa demande dans un délai de trois jours. Si le respect de ce délai risque d’être litigieux, il devrait également veiller à démontrer pourquoi sa demande n’est pas tardive.
Ensuite, celui qui formule cette demande doit également indiquer quel(s) motif(s) il invoque. À cette occasion il doit aussi préciser sur quels documents ces motifs s’appliquent. Lorsqu’il invoque le respect de la sphère privée, il doit indiquer pourquoi la préservation de son intérêt privé au secret doit l’emporter sur l’intérêt à la poursuite pénale.
Finalement, si le ministère public demande la levée des scellés, le détenteur doit collaborer au tri des documents auquel doit se livrer le juge.
Il va de soi que l’assistance d’un avocat dans cette procédure technique est recommandée et augmente les chances de soustraire à l’autorité pénale les documents protégés par un secret professionnel ou qui relèvent de la sphère privée ou intime.