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Nouveautés dans le droit international des successions

Etat des lieux avec Anthony Braham.

A quel droit peut-on soumettre son testament en Suisse ?

Comment les héritiers peuvent-ils transférer les biens, s’ils se trouvent à l’étranger ?

Quid si le testament est soumis à un droit étranger, mais que le testateur est domicilié en Suisse à son décès ?

 

Autant de questions que loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) est censée résoudre. Son chapitre relatif aux successions a été modifié et approuvé le 22 décembre 2023 par notre Parlement.

La modification a deux buts :

  • moderniser le droit suisse des successions internationales, notamment en codifiant certaines pratiques jurisprudentielles ;
  • l’harmoniser avec l’évolution du droit à l’étranger, notamment suite à l’adoption du Règlement UE n° 650/2012, applicable depuis 2015, et qui a introduit le certificat d’héritier européen.

La modification a aussi pour vocation d’augmenter l’autonomie des parties et de réduire le risque de conflits de compétence entre les autorités suisses et étrangères, que ce soit au stade de la dévolution et de la délivrance du certificat d’héritier (probate process, en droit anglo-saxon), ou au moment du partage, et des différentes actions en justice contestant le testament ou ses dispositions.

Un des sujets débattus au Parlement concerne le choix de la loi applicable (professio juris).

Le choix du droit applicable

Actuellement, une personne vivant en Suisse et ayant la double nationalité suisse et étrangère, ne peut pas soumettre son testament à un droit étranger. Le droit suisse s’applique nécessairement.

Or il arrive fréquemment que des expatriés, en Suisse depuis de nombreuses années, acquièrent la nationalité Suisse. L’une des conséquences de la règle actuelle est que, si leur testament est soumis au droit étranger ou contient des références à des concepts de droit étranger, il pourrait être partiellement ou totalement invalidé.

On pourra désormais choisir son droit, mais dans certaines limites

À l’origine, l’avant-projet du Conseil Fédéral avait supprimé toute restriction, laissant une liberté complète au testateur ou à la testatrice.

Mais lorsque le Parlement a examiné le projet de loi à l’automne 2023, il a considéré que la notion d’héritier réservataire faisait partie des principaux fondamentaux du droit suisse des successions.

Ainsi, la version finale, approuvée le 22 décembre 2023, bien que conservant le droit pour les ressortissants étrangers qui sont également de nationalité suisse de choisir un droit étranger, a introduit une limitation : le testament soumis au droit étranger ne pourra contenir aucune exception aux règles sur les héritiers réservataires.

Les héritiers réservataires en droit suisse sont actuellement les descendants d’une personne (ses enfants) et son conjoint survivant. La part réservataire dépend de la composition de la famille, mais peut atteindre 50 % de l’ensemble de la succession.

La nouvelle loi permettra néanmoins l’utilisation de concepts de droit étranger, qui sont actuellement impossibles, comme le testamentary trust, institution chère aux anglo-saxons pour ses avantages en termes d’indépendance du patrimoine et de gestion par des tiers.

Entrée en vigueur prévue pour 2025

Le Conseil fédéral n’a pas encore, à la date de rédaction de cet article, fixé l’entrée en vigueur des nouveaux articles 51, 58, et 86 à 96 de la LDIP.

Selon les informations disponibles, elle est prévue probablement pour 2025. Cet article sera mis à jour dès que la date sera connue.

mcelegal/13.06.2024

Notion de domicile en droit fiscal

 

L’actualité nous rappelle fréquemment que le droit fiscal connaît sa propre définition du domicile.
Etat des lieux avec Christian Chillà.

D’après l’article 3 LIFD, les personnes physiques sont assujetties à l’impôt à raison du rattachement personnel lorsque, au regard du droit fiscal, elles sont domiciliées ou séjournent en Suisse.

Une personne a son domicile en Suisse au regard du droit fiscal lorsqu’elle y réside avec l’intention de s’y établir durablement ou lorsqu’elle y a un domicile légal spécial en vertu du droit fédéral.

Une personne séjourne en Suisse au regard du droit fiscal lorsque, sans interruption notable, elle y réside pendant 30 jours au moins et y exerce une activité lucrative ; elle y réside pendant 90 jours au moins sans y exercer d’activité lucrative.

La personne qui, ayant conservé son domicile à l’étranger, réside en Suisse uniquement pour y fréquenter un établissement d’instruction ou pour se faire soigner dans un établissement ne s’y trouve ni domiciliée ni en séjour au regard du droit fiscal.

La notion de domicile fiscal revêt donc une importance particulière. Si ce domicile se trouve en Suisse, la personne est alors en principe imposée de manière illimitée sur tous ses revenus et, au niveau cantonal, sur sa fortune, indépendamment de la source des revenus ou du lieu de situation de la fortune.

Il s’agit d’une imposition mondiale et globale.

Cette imposition est toutefois limitée, au niveau international, par des Conventions de double imposition et, au niveau cantonal, par les règles de partage intercantonal et en particulier par l’art. 6 LIFD et le principe constitutionnel de l’interdiction de la double imposition intercantonale consacré à l’art. 127 al. 3 Cst. féd.

Initialement, la loi fiscale renvoyait à la notion de domicile civil pour déterminer le domicile au sens fiscal. Depuis l’introduction de la LIFD, cela n’est plus le cas. Cependant, en principe, le domicile fiscal correspond au domicile civil.

Le domicile fiscal est une notion autonome et indépendante de celle de droit civil. Il est donc possible d’avoir un domicile civil à un endroit tout en ayant un domicile fiscal à un autre endroit.

Le domicile fiscal repose sur deux éléments :

–              L’un objectif (le séjour) : à savoir la présence physique d’une personne à un endroit déterminé

–              l’autre subjectif (la volonté de faire de ce lieu le centre de ses intérêts vitaux).

La résidence est un élément de fait. L’intention de s’établir est l’élément subjectif du domicile. S’il n’est pas indispensable que la personne ait l’intention de s’établir en un endroit définitivement, il faut cependant qu’elle ait la volonté d’y séjourner. Toutefois, ce qui importe n’est pas la volonté intime de la personne, mais les circonstances reconnaissables par des tiers, qui permettent de déduire qu’elle a cette intention. Autrement dit, le lieu où la personne assujettie a le centre de ses intérêts personnels se détermine en fonction de l’ensemble des circonstances objectives, et non en fonction des déclarations de cette personne.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la double imposition (cf. art. 127 al. 3 Cst.), le domicile fiscal (principal) d’une personne physique exerçant une activité lucrative dépendante se trouve au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir durablement (cf. aussi, pour le domicile fiscal cantonal, art. 3 al. 2 LHID), soit le lieu où la personne a le centre de ses intérêts personnels. Dans un tel cas, le domicile fiscal se trouve en principe à son lieu de travail, soit au lieu à partir duquel il exerce quotidiennement son activité lucrative, pour une longue durée ou pour un temps indéterminé, en vue de subvenir à ses besoins.

Si une personne séjourne alternativement à deux endroits, ce qui est notamment le cas lorsque le lieu de travail ne coïncide pas avec le lieu de résidence habituelle, son domicile fiscal se trouve au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites.

Dans le cas des pendulaires, qui travaillent dans un canton mais qui rentrent tous les jours dans leur canton de résidence, ce dernier est le canton de domicile fiscal.

La détermination du domicile fiscal implique d’apprécier des éléments de fait relevant de la sphère intime des contribuables, soit de leur volonté d’établir en un lieu le centre de leurs intérêts personnels. Cette appréciation ne peut guère se fonder sur des preuves strictes, mais résulte généralement d’un faisceau d’indices ; elle nécessite une appréciation détaillée de l’ensemble des relations professionnelles, familiales et sociales. Dans ce contexte, le domicile politique ne joue pas un rôle décisif : le dépôt des papiers et l’exercice des droits politiques ne constituent, au même titre que les autres relations de la personne assujettie à l’impôt, que des indices propres à déterminer le domicile fiscal.

Pour le contribuable marié, les liens créés par les rapports personnels et familiaux sont tenus pour plus forts que ceux tissés au lieu de travail ; pour cette raison, ces personnes sont imposables en principe au lieu de résidence de la famille. Il en va de même pour le contribuable marié qui exerce une activité lucrative dépendante (sans avoir de fonction dirigeante) et ne rentre dans sa famille que pour les fins de semaine et pendant son temps libre (on parle dans ce cas de « Wochenaufenthalter« ). En principe, les époux disposent d’un domicile fiscal commun.  Toutefois, d’un point de vue fiscal, chaque époux peut disposer d’un domicile principal distinct.

Cela est notamment le cas lorsque le contribuable exerce une activité lucrative dépendante dans une fonction dirigeante. Dans cette situation, il faut présumer que le centre de ses intérêts se trouve au lieu de son travail. Cette présomption peut être renversée en prouvant l’existence de rapports particulièrement intenses avec le lieu de résidence de la famille ou l’absence de fonction dirigeante. La jurisprudence a posé des critères pour déterminer dans quelles circonstances on se trouve en présence d’une fonction dirigeante. Si la fonction dirigeante est reconnue, l’imposition conjointe des époux demeure et il faudra alors procéder à une répartition intercantonale et/ou internationale des facteurs imposables de la famille.

Ces principes s’appliquent également au contribuable célibataire, séparé ou veuf, car la jurisprudence considère que les parents et les frères et sœurs de celui-ci font partie de la famille. Toutefois, les critères qui conduisent le Tribunal fédéral à désigner comme domicile fiscal non pas le lieu où le contribuable travaille, mais celui où réside sa famille doivent être appliqués de manière particulièrement stricte, dans la mesure où les liens avec les parents sont généralement plus distants que ceux entre époux. En pareilles circonstances, la durée des rapports de travail et l’âge du contribuable ont une importance particulière. Ces règles ne trouvent application que mutatis mutandis lorsque le contribuable célibataire, séparé ou veuf met fin par étape à son activité lucrative, parce qu’il entend prendre sa retraite. En pareille hypothèse, il convient de revenir à la règle générale selon laquelle c’est au moyen de l’ensemble des circonstances objectives qu’il convient de déterminer le lieu où la personne assujettie a le centre de ses intérêts personnels et donc son domicile fiscal.

Que le contribuable soit célibataire ou marié, le risque que plusieurs autorités fiscales (cantonales ou internationales) revendiquent de manière concurrente leur pouvoir d’assujettir une personne à l’impôt de leur juridiction fiscale existe et mérite une analyse détaillée d’un spécialiste.

mcelegal/21.11.2023